La jurisprudence récente a profondément redéfini l’articulation entre liberté contractuelle de l’acheteur public et protection des droits du candidat évincé. Le juge exerce désormais un contrôle renforcé sur les motifs…
La jurisprudence récente a profondément redéfini l’articulation entre liberté contractuelle de l’acheteur public et protection des droits du candidat évincé. Le juge exerce désormais un contrôle renforcé sur les motifs de rejet, tout en consolidant l’efficacité des voies de recours, ce qui réduit sensiblement la marge de manœuvre de l’acheteur.
I – Un encadrement accru du pouvoir d’appréciation de l’acheteur
A – Le traitement des candidatures hors délai et irrégularités techniques
Le rejet d’une candidature ou d’une offre déposée hors délai demeure automatique. Avec la dématérialisation, la question centrale devient la validité technique des fichiers transmis. Le Tribunal administratif de Paris (1) admet le rejet d’une offre dont un fichier est corrompu, assimilant la corruption à une absence de transmission. Cependant, le soumissionnaire peut contester s’il démontre que l’anomalie provient de la plateforme et non de ses propres moyens, rééquilibrant la charge de la preuve et limitant le pouvoir d’exclusion.
B – L’appréciation des capacités professionnelles
L’acheteur peut écarter une candidature dépourvue des capacités techniques, humaines ou financières exigées, notamment en l’absence de certifications obligatoires. La seule invocation d’un sous-traitant qualifié reste insuffisante pour pallier cette carence, comme l’a confirmé le TA de Rouen (2).
C – Les exclusions liées aux motifs obligatoires ou facultatifs
Les motifs d’exclusion (faute professionnelle grave, condamnation pénale, impayés) demeurent un fondement légitime d’écartement. Mais la liberté de l’acheteur dans la définition des besoins est strictement contrôlée : la CJUE (3) impose l’ajout obligatoire de la mention « ou équivalent » pour éviter de restreindre indûment la concurrence. Le juge admet néanmoins des exigences techniques strictes, comme l’obligation d’annexer des documents précis (4) ou de produire une certification déterminée (5), dès lors que ces conditions sont proportionnées et transparentes.
D – Le rejet des offres anormalement basses, irrégulières, inacceptables ou inappropriées
En présence d’un prix atypiquement bas, l’acheteur doit engager un échange contradictoire (art. L.2152-6 CCP). L’écart de prix, même très important, ne suffit pas à qualifier une offre d’anormalement basse : le TA de Rennes (6) exige des éléments objectifs démontrant l’impossibilité d’exécuter la prestation.
Le Conseil d’État a également rappelé qu’une offre ne peut être rejetée comme irrégulière si l’élément manquant n’était exigé qu’à titre de critère d’analyse, et non comme condition de recevabilité (7). Enfin, une modification substantielle du DCE sans prorogation du délai interdit de qualifier l’offre d’irrégulière (8), l’entreprise n’ayant pas pu adapter son offre aux nouveaux besoins.
II – Le renforcement des voies de recours : un contrôle plus incisif
A – L’exigence accrue de motivation des décisions de rejet
La motivation constitue aujourd’hui une garantie centrale. En application du CRPA, elle doit être précise et suffisamment circonstanciée pour permettre au candidat évincé de comprendre les raisons de son élimination et d’exercer un recours utile. Le TA de Paris (9) sanctionne sévèrement les motivations lacunaires, erronées ou tardives, pouvant entraîner annulation de la procédure ou indemnisation pour perte de chance. La motivation devient ainsi un point stratégique du contrôle juridictionnel.
B – Le référé précontractuel : un outil désormais dissuasif
Le juge des référés contrôle en urgence le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence avant la signature du contrat. Sa portée a été considérablement renforcée : le TA de Nice (10) rappelle que la signature d’un marché malgré la saisine du juge peut entraîner une sanction allant jusqu’à 20 % du montant du contrat. Cette menace financière réduit fortement l’intérêt, pour l’acheteur, de contourner le contrôle et protège efficacement le candidat évincé.
C – L’indemnisation du candidat évincé
Même après la signature du contrat, le candidat évincé peut engager la responsabilité de l’acheteur et obtenir une indemnisation fondée sur la perte de chance. Cette voie demeure complémentaire des recours en annulation et garantit une protection substantielle lorsque l’exclusion résulte d’une illégalité ou d’une faute dans la procédure.
Conclusion :
Références juridiques :
- (1) TA Paris 15 juillet 2025, n° 2515742
- (2) TA Rouen 24 janvier 2025, n° 2405341
- (3) CJUE 16 janvier 2025, n° C-424/23
- (4) TA de Lyon 3 août 2024, n° 2406859
- (5) TA de Mayotte 20 août 2025, n° 2501417
- (6) TA Rennes 16 janvier 2025, n° 2105086
- (7) CE 3 juillet 2025, n° 501774
- (8) CE 24 mars 2025, n° 499221
- (9) TA Paris 19 mai 2025, n° 2511568
- (10) TA Nice 24 janvier 2025, n° 2406933.